Troisième semaine du procès de l'ancien
officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité
de crimes contre l'humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais
jugé en France pour ces faits risque la perpétuité.
Chronique d'une journée particulière
"Un agent ordinaire"
L'image est saisissante : sur les écrans de la
salle d'audience apparait le visage d'un génocidaire, sur un
arrière-plan de drapeaux de l'ONU. Il est 9h30 et cette 3ème semaine de
procès s'ouvre sur ce paradoxe. Le lieutenant-colonel Anatole
Nsengiyumva, condamné pour génocide par le TPIR s'exprime en visioconférence,
en toute liberté, depuis Arusha, en Tanzanie, grâce aux moyens techniques
fournis...par le TPIR.
Condamné en première instance en 2008 à
perpétuité, sa peine a été commuée à 15 ans de prison en 2011. Anatole
Nsengiyumva a alors été remis en liberté en tenant compte du temps passé en
détention préventive, mais aucun pays n'a jusqu'à présent souhaiter
l'accueillir.
Il est auditionné pour ses fonctions
d'ancien responsable du Bureau G2 (Service de Renseignement Militaire) jusqu’en
Juin 1993, où Pascal Simbikangwa a passé quatre mois.
Le lieutenant-colonel dédouane complètement
l'accusé, "un agent ordinaire" au profil assez médiocre, au
rôle subalterne. Il avait néanmoins entendu son nom associé à celui de
tortures, "mais cela n'a jamais été confirmé". Au reste, il
affirme ne l'avoir pratiquement jamais rencontré.
Pourtant, c'est sous sa direction que le "petit
agent" insignifiant Pascal Simbikangwa a obtenu le privilège d'une
sécurité particulière avec deux gardes du corps.
Mais pour le statut singulier de l'accusé comme
pour tout le reste des questions posées par les avocats des parties civiles, Me
Emmanuel Daoud, avocat de la LDH et FIDH et Me Simon Foreman,
avocat du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, rien à
faire. L'Akazu, la formation des miliciens Interahamwe, des listes de
Tutsi à éliminer; Anatole Nsengiyumva ne sait rien, n'a rien vu ou rien
entendu.
Même pas la Radio Télévision des Mille Collines,
ou si peu qu' il n'y aurait investi son argent que modestement.
Exactement la même ligne que Pascal Simbikangwa.
Si exactement que l' audition suivante sera radicalement contradictoire.
"Une réputation redoutable"
Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994, témoigne donc lui aussi en visioconférence, mais depuis Bruxelles.
Il explique avoir connu Pascal Simbikangwa indirectement.
D'abord pour sa "réputation redoutable"
de tortionnaire dénoncée par des journalistes d'opposition venus lui en
attester, cicatrices encore visibles. Johan Swinnen tente alors d'intercéder « avec
l’ambassadeur américain, nous avons alors multiplié les démarches auprès de la
présidence rwandaise pour que Pascal Simbikangwa soit écarté, en vain".
Ensuite pour sa désignation comme co-responsable
des massacres de Tutsi en1992 dans le Bugesera.
Enfin, via l' ancien gouverneur de la Banque
Nationale du Rwanda qui lui avait fourni une liste de potentiels génocidaires
parmi lesquels figurait le nom de Pascal Simbikangwa.
Il est alors temps d'entendre Augustin Iyamurene (membre du PSD, parti d’opposition au régime) et chef du Service de Renseignement intérieur (SRI) à partir de Mai 1992; autrement dit, le supérieur hierarchique de Pascal Simbikangwa.
"Un fanatique d'Habyarimana"
Augustin Iyamurene en a l'intuition "c'était
bizarre, on ne comprenait pas son rôle../..il était militaire
mais affecté à notre service qui était civil", puis tout de suite la
certitude "j'avais eu des informations qui disaient qu'il n'était pas
qu'un petit chef de division, qu'il avait des liens avec un réseau parallèle".
A la barre, l'ancien chef du Service du
renseignement intérieur confirme ce qu'il a déjà dit pour d'autres procès au
TPIR, "Pascal Simbikangwa se dévouait à détruire les journaux
d'opposition". La réputation de l'accusé, ses privilèges, ses allées
et venues - "il outrepassait ses attributions"-, tout dérange
Augustin Iyamurene.
Il insiste : "on a cherché tous les
moyens légaux pour le faire muter, on n'a pas pu". Augustin Iyamurene
est formel, c'est la proximité de l'accusé avec la présidence du régime
qui explique cette invulnérabilité : "il était du CDR, un parti
d'extrême-droite; pour Pascal Simbikangwa, Habyarimana était le Bon Dieu, il en
était fanatique ! "
La défense de l'accusé s'étonne alors qu'
Augustin Iyamurene se fasse plus précis qu'il ne l'a jamais été lors des ces
précédentes auditions ou dépositions, et beaucoup plus évasif sur
l'examen des photos (récentes) et des plans supposés des lieux dans lesquels
l'accusé avait son bureau.
Me Fabrice Epstein est offensif, à la limite de
l'intimidation même, lorsqu'il s'approche à moins d'un mètre de la barre, les
yeux rivés sur l'ancien chef du SRI. Déstabilisé, Augustin Iyamurene ne finit
plus ses phrases.
L'avocat de la défense ne saurait s'en contenter.
Il insiste. Mais à mesure qu'il répète encore et encore les mêmes questions,
son assurance s'affaiblit et il finit par paraître manquer de clairvoyance
lorsqu'il bafouille, dans un moment suspendu, comme pour lui même, "visiblement,
je suis le seul à ne pas comprendre..".
Interrogé à son tour, Pascal Simbikangwa répète
ce qu'il dit depuis quinze jours : il est victime d'une manipulation du Front
Patriotique Rwandais (FPR) qui cherche à tout prix des coupables alors qu'
"ils ont tous été déjà jugé". Il s'indigne même, "Augustin
Iyamurene m'a empêché de travailler à l'époque, j'étais sous-employé, et
maintenant il vient mentir".
Avant de conclure "tout ça, c'est de la
comédie".
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