lundi 17 février 2014

Procès de Pascal Simbikangwa, jour 11. Chronique d'une journée particulière

 
Troisième semaine du procès de l'ancien officier rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité au palais de justice de Paris. Le premier rwandais jugé en France pour ces faits risque la perpétuité. 


Chronique d'une journée particulière


"Un agent ordinaire"

L'image est saisissante : sur les écrans de la salle d'audience apparait le visage d'un génocidaire, sur un arrière-plan de drapeaux de l'ONU. Il est 9h30 et cette 3ème semaine de procès s'ouvre sur ce paradoxe. Le lieutenant-colonel Anatole Nsengiyumva, condamné pour génocide par le TPIR s'exprime en visioconférence, en toute liberté, depuis Arusha, en Tanzanie, grâce aux moyens techniques fournis...par le TPIR.

Condamné en première instance en 2008 à perpétuité, sa peine a été commuée à 15 ans de prison en 2011. Anatole Nsengiyumva a alors été remis en liberté en tenant compte du temps passé en détention préventive, mais aucun pays n'a jusqu'à présent souhaiter l'accueillir.

Il est auditionné  pour ses fonctions d'ancien responsable du Bureau G2 (Service de Renseignement Militaire) jusqu’en Juin 1993, où Pascal Simbikangwa a passé quatre mois.

Le lieutenant-colonel dédouane complètement l'accusé, "un agent ordinaire" au profil assez médiocre, au rôle subalterne. Il avait néanmoins entendu son nom associé à celui de tortures, "mais cela n'a jamais été confirmé". Au reste, il affirme ne l'avoir pratiquement jamais rencontré. 

Pourtant, c'est sous sa direction que le "petit agent" insignifiant Pascal Simbikangwa a obtenu le privilège d'une sécurité particulière avec deux gardes du corps.

Mais pour le statut singulier de l'accusé comme pour tout le reste des questions posées par les avocats des parties civiles, Me Emmanuel Daoud, avocat de la LDH et FIDH et Me Simon Foreman, avocat du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, rien à faire.  L'Akazu, la formation des miliciens Interahamwe, des listes de Tutsi à éliminer; Anatole Nsengiyumva ne sait rien, n'a rien vu ou rien entendu.
Même pas la Radio Télévision des Mille Collines, ou si peu qu' il n'y aurait investi son argent que modestement.

Exactement la même ligne que Pascal Simbikangwa. Si exactement que l' audition suivante sera radicalement contradictoire.




"Une réputation redoutable"

Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994, témoigne donc lui aussi en visioconférence, mais depuis Bruxelles.

Il explique avoir connu Pascal Simbikangwa indirectement.

D'abord pour sa "réputation redoutable" de tortionnaire  dénoncée par des journalistes d'opposition venus lui en attester, cicatrices encore visibles. Johan Swinnen tente alors d'intercéder « avec l’ambassadeur américain, nous avons alors multiplié les démarches auprès de la présidence rwandaise pour que Pascal Simbikangwa soit écarté, en vain".
 
Ensuite pour sa désignation comme co-responsable des massacres de Tutsi en1992 dans le Bugesera.

Enfin, via l' ancien gouverneur de la Banque Nationale du Rwanda qui lui avait fourni une liste de potentiels génocidaires parmi lesquels figurait le nom de Pascal Simbikangwa.

Il est alors temps d'entendre Augustin Iyamurene (membre du PSD, parti d’opposition au régime) et chef du Service de Renseignement intérieur (SRI) à partir de Mai 1992;  autrement dit, le supérieur hierarchique de Pascal Simbikangwa.




"Un fanatique d'Habyarimana"

Augustin Iyamurene en a l'intuition "c'était bizarre, on ne comprenait pas son rôle../..il était militaire mais affecté à notre service qui était civil", puis tout de suite la certitude "j'avais eu des informations qui disaient qu'il n'était pas qu'un petit chef de division, qu'il avait des liens avec un réseau parallèle".

A la barre, l'ancien chef du Service  du renseignement intérieur confirme ce qu'il a déjà dit pour d'autres procès au TPIR, "Pascal Simbikangwa se dévouait à détruire les journaux d'opposition". La réputation de l'accusé, ses privilèges, ses allées et venues - "il outrepassait ses attributions"-, tout dérange Augustin Iyamurene.
Il insiste : "on a cherché tous les moyens légaux pour le faire muter, on n'a pas pu". Augustin Iyamurene est formel, c'est la proximité de l'accusé  avec la présidence du régime qui explique cette invulnérabilité : "il était du CDR, un parti d'extrême-droite; pour Pascal Simbikangwa, Habyarimana était le Bon Dieu, il en était fanatique ! "

La défense de l'accusé s'étonne alors qu' Augustin Iyamurene se fasse plus précis qu'il ne l'a jamais été lors des ces précédentes auditions ou dépositions, et beaucoup plus évasif  sur l'examen des photos (récentes) et des plans supposés des lieux dans lesquels l'accusé avait son bureau. 

Me Fabrice Epstein est offensif, à la limite de l'intimidation même, lorsqu'il s'approche à moins d'un mètre de la barre, les yeux rivés sur l'ancien chef du SRI. Déstabilisé, Augustin Iyamurene ne finit plus ses phrases. 
L'avocat de la défense ne saurait s'en contenter. Il insiste. Mais à mesure qu'il répète encore et encore les mêmes questions, son assurance s'affaiblit et il finit par paraître manquer de clairvoyance lorsqu'il bafouille, dans un moment suspendu, comme pour lui même, "visiblement, je suis le seul à ne pas comprendre..".

Interrogé à son tour, Pascal Simbikangwa répète ce qu'il dit depuis quinze jours : il est victime d'une manipulation du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui cherche à tout prix des coupables alors qu' "ils ont tous été déjà jugé". Il s'indigne même, "Augustin Iyamurene m'a empêché de travailler à l'époque, j'étais sous-employé, et maintenant il vient mentir".

Avant de conclure "tout ça, c'est de la comédie".




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